Le monde est plus connecté que jamais, grâce à nos technologies en constante évolution. Ces progrès s’accompagnent d’opportunités de nuisance, car les prédateurs trouvent de nouvelles façons de perpétuer la violence basée sur le genre, en se servant des technologies à des fins de harcèlement en ligne, de cyberharcèlement, de doxxing et de sextorsion.
En l’honneur de la Journée mondiale de la population, nous présentons trois femmes qui changent le monde, qui combattent cette violence en ligne en rendant possible la création de nouvelles lois, de nouvelles technologies et de nouveaux systèmes de soutien ; elles luttent ausi pour éliminer l’inégalité des genres, qui crée un déséquilibre de pouvoirs et une vulnérabilité à la violence, tant dans le monde réel que virtuel.
Lorsqu’elle était encore jeune adulte et qu’elle vivait à Puebla, au Mexique, Olimpia Coral Melo Cruz a enregistré une vidéo érotique avec son petit-ami de l’époque, qui le lui avait demandé, en pensant que cela l’empêcherait d’être infidèle. « Je me suis dit que cela lui ferait passer l’envie d’aller voir ailleurs », raconte-t-elle à l’UNFPA dans le cadre de la campagne multimédia Le virtuel est réel. « Je ne comprenais pas grand-chose à l’amour à cette époque. » Son petit-ami l’a trahie en postant cette vidéo privée sur les réseaux sociaux. Elle s’est rapidement retrouvée sur des dizaines de sites pornographiques.
« Je recevais jusqu’à 40 demandes d’ami par jour, principalement de la part d’hommes sollicitant des rapports sexuels, en échange de quoi ils supprimeraient la vidéo. L’un d’eux m’a même dit que si j’avais des rapports sexuels avec un chien, il supprimerait la vidéo », se souvient-elle. « Après avoir fait des recherches sur Internet, j’ai appris que ce dont j’étais victime s’appelait une “vengeance pornographique”. Je me suis sentie encore davantage coupable, parce que si l’on qualifiait cela de “pornographie”, j’y avais participé ; puisqu’on parlait de “vengeance”, ça signifiait que je l’avais mérité. »
Sa vie s’est brutalement assombrie. « J’ai arrêté d’aller à l’école, évitant de nombreuses choses, car j’avais honte. Votre corps nu devient public sans votre autorisation, mais c’est vous que les gens montrent du doigt parce que vous vous êtes laissé filmer. Dans un pays aussi machiste, vous êtes le mal incarné, une salope et une provocatrice, et vous commencez à y croire. J’étais dégoûtée par mon propre visage et mon propre corps, non seulement à cause de la vidéo, mais aussi en raison des moqueries et de l’objectification dont j’étais victime : on débat alors de votre physique, de vos vergetures ou de votre cellulite, de votre type de cheveux… et cela, pour la simple raison que vous êtes une femme. » Elle a tenté par trois fois de se suicider.
Lorsque quelqu’un a envoyé la vidéo à sa famille, elle a supplié sa mère de ne pas la regarder. « Que ma famille ne la voie pas était la dernière chose qui me séparait du sentiment d’être une morte-vivante », souligne-t-elle. Mais sa mère a voulu savoir ce qui causait tant de douleur à sa fille. « Ma mère a pris le téléphone. Elle pleurait devant la vidéo. J’avais très peur. Mon corps était en feu. Dans ces moments, vous vous sentez coupable de faire du mal à votre famille. »
La vidéo a rendu sa mère furieuse, mais pas contre sa fille : contre l’agresseur, qui avait trahi la confiance de son enfant. Sa mère a ainsi déclaré : « Bats-toi, ma fille, car tu n’es pas en faute ». C’était la première fois que Mme Melo Cruz s’entendait dire qu’elle n’y était pour rien.
Galvanisée par les encouragements de sa mère, Mme Melo Cruz a trouvé un groupe de soutien et s’est rendu compte qu’un grand nombre de femmes avait traversé des violences virtuelles similaires. « J’ai décidé de faire quelque chose, de me battre pour obtenir une réforme, afin que la violence numérique soit reconnue et punie », explique-t-elle. « Le premier défi à surmonter était la revictimisation. Les législateurs, la société et les gens en général ne comprennent pas que les victimes ne sont pas les coupables. Le deuxième défi était le tabou entourant la sexualité, ce qui entraîne une plus grande stigmatisation. Le troisième, le fait que les gens ne reconnaissent pas le crime qui a été commis lorsque cela se passe dans le monde virtuel. Lorsque vous confiez aux gens que vous avez été victime de violence numérique, on vous rit au nez. Les auteurs de certains commentaires avaient même créé des memes de nous, qui disaient : “Alors, vous allez m’incarcérer dans une prison virtuelle ?” »
Le manque de sensibilisation sur cette question ne l’a rendue que plus déterminée à se battre pour changer les choses, et c’est ainsi qu’elle est devenue une militante influente en faveur d’un changement législatif pour combattre la violence numérique. En avril 2021, ses efforts ont fini par payer : le Mexique a adopté la Loi d’Olimpia, qui fait du partage non consenti de contenu à caractère sexuel un délit fédéral, puni d’un maximum de six ans de prison.
« Nous avons le droit de nous sentir en sécurité dans les espaces numériques », dit-elle. « Nous devons bâtir un Internet qui protège avant tout notre sécurité et nos droits fondamentaux. Même si vous ne pouvez ni le voir ni le toucher, le monde virtuel est bien réel. »
Lorsque Norma Buster a rompu avec son petit-ami après deux ans de relation, celui-ci ne l’a pas bien pris. Il a d’abord essayé de l’apitoyer, en prétendant que certains membres de sa famille étaient malades ou mourants ; il a ensuite menacé de se suicider. Lorsqu’elle a tenté de couper les ponts, il a fini par déclarer qu’il partagerait en ligne des photos d’elle nue.
Mme Buster, qui venait de passer son diplôme universitaire à New York, lui avait envoyé des photos au cours de leur relation : « elles étaient censées être privées », précise-t-elle à l’UNFPA. « Après avoir rompu, je lui avais demandé de les effacer devant moi, mais il les avait sauvegardées sur son ordinateur. »
Mme Buster et ses parents sont allé·e·s au commissariat de police et ont pu obtenir une injonction d’éloignement temporaire. « Deux mois après avoir rompu, je me suis rendue au tribunal des affaires familiales afin d’en obtenir une de manière permanente. J’avais apporté des copies de ses messages menaçants. Mon ex-petit ami était accompagné d’un avocat qui m’a posé des questions, me faisant passer pour la petite amie obsessionnelle », raconte-t-elle. « J’étais très secouée. La juge a rejeté ma demande d’une injonction d’éloignement permanente, which was devastating. »
Deux mois après, elle a constaté avec horreur que ses photos intimes apparaissaient sur PornHub, avec son nom complet, son numéro de téléphone et l’adresse de son domicile, le tout accompagné de messages sollicitant du sexe oral. Elle est retournée voir la police, qui l’a aidée à faire retirer les photos du site. Cependant, la juge a une fois encore refusé d’ordonner une injonction d’éloignement : « Elle m’a expliqué qu’on ne savait pas si c’était mon ex-petit ami qui avait publié les photos, ajoutant que je l’avais bien cherché, qu’envoyer des photos à quelqu’un c’est s’attendre à ce qu’elles soient affichées publiquement », poursuit Mme Buster. « C’était la première fois qu’on me faisait culpabiliser. »
Cherchant désespérément de l’aide, sa mère a trouvé une avocate à New York, Carrie Goldberg, qui était l’une des seules à dénoncer ce type de violences en 2015. Me Goldberg a mis Mme Buster en relation avec un procureur qui avait de l’expérience dans le domaine de la violence conjugale et des crimes virtuels. Il a ouvert une enquête, et Norma a pu obtenir une injonction d’éloignement permanente.
Deux ans après la rupture, son ex-petit-ami a été condamné par un tribunal à cinq ans de prison avec sursis, ayant plaidé coupable d’atteinte à la vie privée. « Parfois, j’aimerais qu’il ait été obligé d’aller en prison, comme je l’ai été pendant des mois du point de vue psychologique. J’ai des symptômes de stress post-traumatique. Je sais ce qui les déclenche — mon téléphone est toujours sur silencieux, car, après ses messages incessants, je ne supporte plus lorsqu’il vibre. Mais je suis reconnaissante de la manière dont cette histoire s’est terminée : je suis en sécurité, mes photos ne sont pas devenues virales, il a en partie payé pour ce qu’il a fait et cela figure sur son casier judiciaire », déclare-t-elle.
« Je me rappelle avoir dit à l’époque que je ne pensais pas envoyer à nouveau des photos de ce genre. Ce n’est plus du tout ainsi que je vois les choses aujourd’hui. Carrie a été la première à me dire que ce n’était pas ma faute. J’ai suivi une longue thérapie, beaucoup écrit et effectué des exercices de réflexion personnelle. Lorsque je raconte mon histoire, les gens sont bienveillants. Ou bien ils sont bienveillants, mais ajoutent “J’imagine que ça t’a servi de leçon”. Je n’ai pas honte. Je ne regrette pas de lui avoir envoyé les photos. Ce n’est pas à moi d’avoir honte. Il a trahi ma confiance. Il s’est servi de ma sexualité contre moi. »
Mme Buster travaille désormais au sein du cabinet d’avocat·e·s de Mme Goldberg en tant que responsable des relations clients. Elle raconte son histoire pour donner du courage aux autres survivantes : « Les agresseurs de ce genre essaient généralement de réduire leurs victimes au silence par la honte. Partager mon histoire sous mon vrai nom montre aux gens que je n’ai rien à me reprocher. Je refuse de me taire. »
Lorsque Mariam Torosyan était enceinte de sa fille et vivait en Arménie, son pays natal, une femme âgée s’est approchée d’elle lors d’une fête de famille et lui a dit de ne pas s’inquiéter, que son deuxième enfant serait un garçon. « Dans une société patriarcale comme la mienne, les filles sont dévalorisées, avant même qu’elles naissent », explique-t-elle. « C’est pour cela que j’ai décidé de concentrer mes efforts sur l’amélioration du statut des femmes et des filles dans la société dans laquelle je vis. »
Pour atteindre cet objectif, Mme Torosyan, qui est entrepreneuse sociale, a fait des études de droit et travaillé pendant des années avec des survivantes de violences, s’est tournée vers la technologie, pour utiliser les possibilités qu’elle offre afin de construire un monde meilleur.
Elle a lancé l’Impact Innovations Institute afin de développer une application pour combattre la violence basée sur le genre avec l’aide d’un groupe de professionnel les de l’informatique et d’expert·e·s dans le domaine de ces violences. L’un des principaux objectifs de l’application était de permettre aux utilisatrices de trouver de l’aide dans les situations d’urgence. Ainsi, les développeurs et développeuses ont créé un bouton À L’AIDE qui permet d’envoyer gratuitement des messages contenant des données de géolocalisation à ses contacts, à des organisations à but non lucratif ou bien à la police, et qui déclenche automatiquement un enregistrement audio, un élément essentiel pour les victimes qui sont seules avec leur agresseur.
Il était également important que l’application permette aux femmes de discuter entre elles et de partager des conseils pour se protéger de la violence basée sur le genre, qu’elle ait lieu dans le monde réel ou en ligne. Des forums ont donc été créés pour permettre des discussions anonymes au sein de la communauté mais aussi avec des professionnel·le·s : médecins, avocat·e·s et psychologues.
En mai 2020, l’application a été lancée en Arménie, puis en juin en Géorgie. En décembre 2021, elle a été lancée dans le nord de l’Iraq, en partenariat avec l’UNFPA.
Lors d’une présentation à Erevan (Arménie), en novembre 2021, Mme Torosyan a expliqué que la culture communautaire était ce qui faisait la spécificité de l’application. « Il ne faut jamais sous-estimer la capacité des communautés à s’entraider et à prendre soin de leurs membres. Nous n’utilisons pas assez l’action collective et le soutien mutuel que permettent les relations de pair-aidance », précisait-elle. « Nous sommes au bon endroit, au bon moment. Nous avons une solution à une violence en constante augmentation. Nous devons agir vite pour faire en sorte qu’elle soit disponible dans le plus grand nombre de pays possible. »
Remarquant que nous sommes à un moment clé du mouvement pour la justice et l’égalité des genres, elle déclarait : « Nous vivons dans un monde où la technologie permet de faire énormément de choses. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous avons autant de ressources utilisables. »
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