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Sept choses à savoir sur le mariage d’enfants
- 07 Février 2022
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NATIONS UNIES, New York – Dans le monde entier, on fête la Saint-Valentin, un moment de joie et d’amour, d’engagement, parfois même synonyme de fiançailles ou de mariage. Pour des millions de personnes, pourtant, les contes de fées sur l’amour et le mariage ne sont que de la fiction. Trop de jeunes filles et de femmes ont été mariées alors qu’elles étaient encore enfants. Beaucoup d’entre elles ont subi des violences, ont été forcées à arrêter leur scolarité et poussée à devenir mères bien trop jeunes, avant d’y être prêtes physiquement ou psychologiquement.
Le mariage d’enfants est une tragédie pour les individus qu’il prend au piège, qui sont souvent les filles les plus vulnérables, les plus pauvres et les plus marginalisées. C’est également une pratique néfaste aux communautés et aux sociétés dans leur ensemble, qui emprisonne les épouses enfants et leurs familles dans un cycle de pauvreté qui peut se maintenir sur plusieurs générations. Selon plusieurs études, mettre fin au mariage d’enfants, permettre aux filles de terminer leur scolarité, de retarder leur maternité, de trouver un travail décent et de réaliser leur potentiel pourrait générer des milliards de dollars de de gains et de productivité.
Cette année encore, à l’occasion de la Saint-Valentin, l’UNFPA lance un appel au monde entier pour faire de l’élimination du mariage d’enfants une priorité. Nous vous présentons ci-dessous sept éléments factuels sur le mariage d’enfants. Une meilleure sensibilisation au problème, à son omniprésence et à ses conséquences pourront aider les leaders ainsi que les jeunes eux-mêmes à mettre fin à cette pratique une fois pour toutes.
Plus de 650 millions de femmes et de filles aujourd’hui ont été mariées ou placées en concubinage avant leur 18e anniversaire. (Le mariage d’enfants est défini comme un mariage ou une union au sein de laquelle l’une ou les deux personnes ont moins de 18 ans). Dans le monde, 21 % des jeunes femmes âgées de 20 à 24 ont été des épouses enfants. Même si le mariage d’enfants est surtout prévalent dans les pays à faibles et moyens revenus, aucun pays n’est immunisé contre ce phénomène.
Tous les mariages d’enfants ne sont pas le produit de décisions des parents ou tuteur·ice·s : les adolescent·e·s font parfois ce choix pour faire valoir leur indépendance, pour échapper à une situation difficile, comme la pauvreté ou la violence familiale, ou bien parce qu’ils et elles le voient comme la seule possibilité d’être sexuellement actif·ve·s à cause des restrictions pesant sur les relations sexuelles hors mariage.
Bien qu’elle ne soit pas légalement mariée, Gabriela*, âgée de 16 ans, vit en concubinage avec son partenaire de 36 ans au Brésil. « J’ai décidé de vivre avec lui parce que le mari de ma mère ne m’aimait pas et ne m’acceptait pas sous son toit », explique-t-elle. Gabriela a pu poursuivre sa scolarité, ce qui n’est pas souvent le cas pour les épouses enfants, mais a dû faire d’autres compromis. « Il est un peu jaloux, et cela a affecté mes relations avec ma famille et certains amis”, dit-elle. « Lorsque j’étais célibataire, je pouvais faire ce que je voulais. Maintenant, je dois penser à respecter mon partenaire avant tout. »
Divers·e·s militant·e·s, depuis des leaders religieux à Zanzibar et des défenseur·e·s des droits en Macédoine du Nord, jusqu’à des leaders communautaires au Mozambique en passant parce des enseignant·e·s du Malawi, s’opposent à cette pratique.
Commençons par la bonne nouvelle : à l’échelle mondiale, le mariage d’enfants recule doucement. Le mariage d’enfants a décliné dans la plupart des régions ces 25 dernières années, avec des progrès particulièrement rapides dans certaines régions de forte prévalence au cours de la dernière décennie.
Il y a cependant aussi de mauvaises nouvelles : à moins d’une intensification de ces efforts, la réduction du nombre de filles mariées sera insuffisante face à la croissance de la population. Les écarts de prévalence entre les ménages les plus riches et les plus pauvres se sont accrus dans la plupart des pays. La COVID-19, qui a perturbé les initiatives pour l’élimination du mariage d’enfants et eu des conséquences économiques terribles, pourrait être à l’origine de 13 millions de mariages d’enfants supplémentaires entre 2020 et 2030 qui ne se seraient pas produits sans cette pandémie.
Les rapports de police, ses services de protection de l’enfance, des hôpitaux et des lignes d’assistance téléphonique montrent bien l’impact de la COVID sur le mariage d’enfants. Au Bangladesh, par exemple, les appels de signalement de violence auprès d’une ligne d’assistance ont été multipliés par quatre, et le nombre d’appels rapportant des cas de mariage d’enfants ont aussi augmenté sur la période avril-juin 2020. En avril 2020, le numéro a reçu 450 appels pour des mariages d’enfants contre 322 le mois précédent. De la même manière, les appels à une ligne d’assistance pour enfants en Inde ont augmenté de 50 %, et les interventions de travailleurs et travailleuses sociales ont permis d’empêcher 898 mariages d’enfants pendant la pandémie.
Les conflits, le déplacement, les catastrophes naturelles et les changements climatiques exacerbent les facteurs du mariage d’enfants en détruisant les moyens de subsistance et les systèmes scolaires, en faisant augmenter les risques de violence sexuelle et en provoquant des inquiétudes vis-à-vis de la sécurité des filles et de l’honneur des familles. D’une manière générale, le taux de mariage d’enfants en situation de fragilité est près de deux fois plus élevé que la moyenne mondiale.
Dans ces contextes, le mariage peut prendre un autre visage. Ainsi, la transformation des structures familiales et des systèmes de soutien chez les réfugié·e·s syrien·ne·s ont mené à l’érosion des normes et restrictions traditionnelles, par l’interaction avec des communautés d’accueil plus progressistes. Les familles acceptaient mieux de laisser leurs files poursuivre leur scolarité et travailler. Ces mutations ont à leur tour amené des changements dans les pratiques traditionnelles du mariage, comme l’affaiblissement du rôle des grands-parents, et la préférence pour des mariages externes à la famille plutôt que des unions entre cousins et cousines.
En novembre 2019, l’UNFPA a publié une étude conjointe avec l’université Johns Hopkins, en collaboration avec l’université de Victoria, l’université de Washington et Avenir Health, pour évaluer le coût de l’élimination de 68 pays responsables de près de 90 % du phénomène. Mettre fin au mariage d’enfants dans ces pays d’ici 2030 ne coûterait que 35 milliards de dollars, a conclu l’équipe de recherche. En d’autres termes, cela coûterait environ 600 dollars pour épargner chacune des épouses enfants, ce qui correspond au prix d’une paire de baskets de luxe.
Cet investissement de 35 milliards de dollars, dans des interventions pédagogiques, des initiatives d’autonomisation, des formations en compétences de base et des programmes visant à changer les normes sociales liées au mariage d’enfants, permettrait d’éviter près de 58 millions de mariages d’enfants. De plus, les filles qui échapperaient ainsi à un mariage précoce pourraient « apporter une contribution plus productive à leur ménage », ce qui se traduirait aussi par des bénéfices importants pour leur communauté.
Deux des déclarations des droits de la personne les plus largement soutenues dans le monde, la Convention des droits de l’enfant et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, condamnent le mariage d’enfants. À eux deux, ces traités ont été signés ou ratifiés par presque tous les pays.
Pourtant, dans le monde entier, il existe des lois nationales ou locales qui permettent des interprétations de ce principe convenu. De nombreux pays permettent la pratique du mariage d’enfants sous réserve de consentement des parents ou sous couvert d’une loi religieuse ou d’une coutume, par exemple. Dans le monde, de nombreux mariages ne sont tout simplement pas légalement enregistrés.
Même dans des régions où le mariage d’enfants est clairement illégal, l’application de ce principe reste trop laxiste. L’âge légal du mariage en Erythrée est bien fixé à 18 ans, mais cela n’empêche pas certaines familles de défier la loi. Pour éviter son mariage avec un homme trois fois plus âgé qu’elle, qui était son enseignant à l’école primaire, Fatma Hamid a dû se cacher pour pouvoir terminer le lycée et ensuite réussir à obtenir un diplôme universitaire en biologie.
Bien que la Guinée-Bissau ait signé les deux déclarations mentionnées ci-dessus, ainsi que le Protocole de Maputo, les enfants peuvent être marié·e·s avec le consentement d’un parent, d’un·e tuteur·ice, ou d’une cour de justice. Lorsqu’en 2008, les parents de la jeune Ana Kabi ont tenté de la marier alors qu’elle n’avait que 14 ans, elle a marché plus de 20 kilomètres jusqu’à une église évangélique qu’elle savait être un refuge sûr pour les filles voulant échapper à un mariage forcé. « Dans nos communautés, le mariage précoce est justifié par les parents par des aspects culturels ou économiques, explique le pasteur Abdu Cassamá. « À cause de croyances ancestrales, ils ont parfois même recours à des armes à feu pour venir récupérer leurs filles à l’église. »
Il y a pourtant des signes encourageants de progrès. Ces trois dernières années, les Philippines, la République dominicaine, et six Etats des Etats-Unis ont interdit cette pratique. L’Indonésie s’est engagée à l’éliminer, le Parlement du Mozambique a approuvé la loi qui l’interdit, et l’Angleterre et le Pays de Galles ont avancé vers le relèvement de l’âge minimum du mariage à 18 ans.
Le mariage d’enfants est bien souvent une étape vers la grossesse précoce. Dans les pays en développement, la plupart des grossesses adolescentes se produisent dans le cadre d’un mariage déjà célébré. Ces grossesses précoces constituent de graves risques de santé pour ces filles dont le corps n’est généralement pas suffisamment développé pour accueillir une grossesse. Les complications liées à la grossesse et à l’accouchement sont la principale cause de mortalité chez les adolescentes de 15 à 19 ans dans le monde.
Au Mozambique, Beatriz Sebastião est tombée enceinte à l’âge de 15 ans. Comme elle vivait loin d’un hôpital, le temps qu’elle puisse accéder à des soins médicaux, son travail avait commencé depuis déjà trois jours. Le bébé est mort-né, et Mme Sebastião a été atteinte d’une blessure terrible liée à l’accouchement, la fistule obstétricale, qui l’a conduite à être traitée comme une paria pendant six ans, jusqu’à ce qu’elle puisse bénéficier d’une chirurgie réparatrice.
Les blessures sont aussi parfois infligées par l’homme. Mariée à l’âge de 12 ans, Ghada*, qui est yéménite, a eu son premier enfant à 13 ans, une fille. Le mari de Ghada souhaitait avoir un fils et a donc puni sa femme par des violences physiques et psychologiques. Son deuxième enfant était un garçon, mais ayant déjà vécu trois grossesses à 15 ans, Ghada se sentait désespérée et a tenté de mettre fin à ses jours. Secourue par un refuge de l’UNFPA, elle a quitté son mari lorsqu’elle avait 16 ans, et reconstruit aujourd’hui sa vie avec ses trois enfants.
Une autre conséquence néfaste d’une grossesse précoce est le fait que cela force parfois les filles à se marier. Elles peuvent ainsi être contraintes à épouser le père de leur enfant, qui peut s’avérer être leur violeur, pour épargner à leur famille la honte d’une grossesse hors mariage, ou bien pour assurer sa sécurité financière et celle de son futur enfant.
Au Malawi, lorsque Yensen Nyirenda s’est retrouvée enceinte à l’âge de 15 ans, la coutume locale lui imposait d’emménager avec le père de l’enfant, un garçon âgé de 17 ans, qui s’est mis à la frapper au bout de quelques mois. Sa belle-famille, qui avait payé une dot pour son mariage, ont refusé de la laisser partir. « Dans notre culture, c’est une honte pour la famille et pour la communauté lorsqu’une femme ou une fille quitte son époux », explique-t-elle. « On vous traite alors comme une paria ou une femme de petite vertu ». Mme Nyirenda a finalement trouvé un moyen de s’enfuir et jongle actuellement entre ses responsabilités de mère et d’étudiante.
De nombreux changements doivent intervenir pour mettre fin au mariage d’enfants, et parmi eux le renforcement et l’application des lois condamnant cette pratique, la promotion de l’égalité des genres, et la garantie que les différentes communautés s’engagent en faveur des droits des filles.
Les jeunes doivent également être suffisamment autonomes pour connaître leurs droits et être en position de les défendre. Il faut donc que tous et toutes aient accès à des informations fiables sur leur santé sexuelle et reproductive, puissent bénéficier d’opportunités en matière d’éducation et de développement de leurs compétences, et disposent de plateformes pour participer à la communauté et à la vie civique.
Ces informations et ces opportunités peuvent leur changer la vie. Être autonomes et bien informé·e·s donne aux jeunes qui sont vulnérables la possibilité de défendre leurs propres droits, et même de persuader leur famille d’annuler ou reporter des fiançailles.
Au Népal, la famille de Bidhya Sahani était en grande difficulté financière et avait besoin d’aide à la maison : elle a dû arrêter l’école en cinquième. Ils avaient pour projet de la marier. L’émission de radio Rupantaran (« transformation »), qui fait de la prévention contre le mariage d’enfants a cependant permis à Mme Sahani de prendre conscience de ses droits. « J’étais bien décidée à continuer mes études », raconte-t-elle. Elle n’a pas seulement convaincu ses parents de la laisser retourner à l’école, mais « lorsque j’ai découvert que mes parents avaient l’intention de me marier, j’ai protesté et j’ai pu empêcher cela. »
En Géorgie, Chinara Kojaeva a échappé à son mariage précoce, non pas une mais deux fois. « J’avais 14 ans lorsqu’on a voulu me marier pour la première fois », dit-elle. « Lorsque j’ai eu 17 ans, mes parents ont failli réussir. Mais ce n’est pas à eux de décider de ma vie. Je préfère prendre mon temps et faire les choses à mon rythme. »
L’UNFPA travaille avec des partenaires et des communautés du monde entier pour promouvoir l’éducation et l’autonomisation des filles, ainsi que pour sensibiliser les communautés aux dangers du mariage d’enfants. Le Programme conjoint UNFPA-UNICEF visant à accélérer la lutte contre le mariage d’enfants opère dans 12 pays où la prévalence de cette pratique est élevée. Entre 2016 et 2019, près de 7,2 millions de filles sont devenues autonomes grâce à ce programme mondial, et plus de 30 millions de personnes ont pu être sensibilisées grâce à des messages diffusés dans les médias, des dialogues au sein des communautés et d’autres actions de plaidoyer.
Nombre des filles qui ont connu le mariage précoce sont elles-mêmes devenues des militantes contre cette pratique. Certaines ont réclamé justice, et l’ont obtenue. À Madagascar, où deux filles sur cinq sont mariées avant leurs 18 ans (et où 13 % des femmes de 20 à 24 ans ont été mariées avant leurs 15 ans), Narindra Solonjanahary* a porté plainte contre sa mère, qui l’a forcée à se marier alors qu’elle n’avait que 15 ans, et contre son mari violent, qui avait le triple de son âge et était déjà marié pour bénéficier d’un soutien financier. Très tôt, Mme Solonjanahary s’est rendue en secret dans un centre pour jeunes pour y consulter les services de planification familiale, en vue d’éviter une grossesse précoce, et a ainsi appris que forcer une mineure à se marier était illégal. Son mari a été condamné à 10 ans de prison, et sa mère à 3 ans de prison avec sursis. « Ma mère a demandé pardon et a aidé à sensibiliser les autres mères aux droits des filles soumises à cette pratique », raconte-t-elle. Cette ancienne épouse enfant a aujourd’hui repris sa scolarité et est devenue éducatrice pour ses paires au sein du centre pour jeunes, aidant ainsi d’autres jeunes filles à échapper à ce qu’elle a subi.
Ruth*, âgée de 14 ans, qui vit en Ouganda, mène elle aussi des actions de sensibilisation sur cette pratique néfaste dans le cadre du club pour adolescentes soutenu par l’UNFPA « Autonomisation flexible et compétences de la vie courante ». Quand elle a refusé d’obéir à sa mère, qui lui commandait d’épouser un homme de 35 ans en échange de deux chèvres et d’une somme d’argent, Ruth a été chassée de la maison et a emménagé avec une des mentors du club. « Mon rêve, c’est de devenir pilote. Je vais travailler dur pour cela », affirme Ruth. « Je serai une femme puissante, importante, et je pourrai me battre contre le mariage d’enfants, le viol sur mineurs, les grossesses adolescentes et la violence basée sur le genre. »
*Les noms ont été changés pour garantir l’anonymat.
Une autre version de cet article a été publiée le 1er février 2020. Nous le republions aujourd’hui, mis à jour et avec de nouvelles informations.