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Non à la malédiction : dans l’Ouest de l’Éthiopie, les femmes refusent d’accoucher seules dans les bois
- 28 Juillet 2017
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BENISHANGUL-GUMUZ, Éthiopie – Abebech Kabla a accouché seule dans les bois à trois reprises. Chaque fois, elle a cru mourir. La première fois, elle n’avait que 13 ans, et était mariée depuis un an.
« Même après l’accouchement, je ne suis pas rentrée tout de suite. J’ai attendu sept jours, le temps de ne plus perdre de sang », explique-t-elle.
Mme Abebech appartient au peuple des Gumuz, qui est installé dans l’ouest de l’Éthiopie. Beaucoup de membres de sa communauté pensent que le sang d’une femme est maudit.
Pendant la menstruation, une femme doit quitter le foyer conjugal. On lui donne parfois à manger par l’entremise d’un bâton pour ne pas la toucher.
Lorsqu’une femme enceinte est sur le point d’accoucher, elle est envoyée dans les bois pour vivre seule son accouchement. La croyance dit que si une femme accouche à côté ou à l’intérieur de la maison, son enfant peut tomber malade ou être handicapé ; la famille pourrait aussi avoir de la malchance.
Ces croyances ne sont pas partagées par tous, mais elles sont suffisamment répandues pour être à l’origine de beaucoup de souffrances.
Mme Abebech raconte l’histoire d’une de ses amies dont le bébé était mal positionné. Seule dans la nature, cette femme est décédée des suites de l’accouchement.
Les choses ont commencé à changer pour Mme Abebech lorsqu’elle était enceinte de son quatrième enfant.
À cette période, l’association de développement des femmes Mujejeguwa Loka (qui signifie « lumière de l’aurore » en Gumuz) a commencé son activité dans la région. Elle combat des pratiques dangereuses qui sont longtemps restées banalisées. L’association vise non seulement à éradiquer les accouchements en pleine nature, mais aussi le mariage d'enfants et les mutilations génitales féminines (MGF).
Cette association travaille avec les communautés pour les sensibiliser aux droits des femmes et des filles, et défend la possibilité pour les femmes d’accoucher accompagnées d’un professionnel de santé – infirmière, sage-femme ou médecin. Mujejeguwa Loka milite aussi pour l’application de politiques de condamnation des pratiques dangereuses et de la violence basée sur le genre. Elle aide également les victimes à obtenir un accès aux soins et à des services juridiques.
Tirhas Mezgebe a fondé l’association en 1996. Son travail l’a amenée à se retrouver face à des pratiques dangereuses pour les femmes, mais aussi à de criantes inégalités de genre, qui renforcent encore ces pratiques.
Mme Tirhas raconte l’histoire d’une terrible blessure due à un accouchement. « L’un des cas les plus terribles dont je me souvienne est celui d’une très jeune fille qui est allée accoucher dans les bois, a perdu son enfant, et a souffert d'une fistule obstétricale causé par un accouchement trop long. »
Son mari a rendu cette jeune fille à sa famille, en demandant à ce qu’elle soit remplacée par sa jeune sœur. « Il a pris la petite sœur de sa femme de force, alors qu’elle n’avait que 11 ans. »
Heureusement, Mujejeguwa Loka a pu intervenir. « En collaboration avec la police, nous avons réussi à la ramener à sa famille », explique-t-elle.
Les districts de Bulen, Mandura et Pawe, dans le Benishangul-Gumuz, où vit Mme Abebech, sont majoritairement habités par la communauté Gumuz. Environ 13 000 femmes en âge de procréer y vivent.
L’UNFPA travaille sur place avec Mujejeguwa Loka à l’amélioration du statut et de la santé des femmes. Grâce à un programme financé par les Pays-Bas, l’UNFPA a pu aider à promouvoir la fin de ces accouchements dans les bois.
Ces efforts produisent des résultats. Il est difficile d’obtenir des données locales fiables, mais une évaluation récente a montré une augmentation du nombre de femmes qui accouchent au sein de structures de santé.
L’UNFPA soutient également les efforts pour mettre fin aux MGF, aux mariages d’enfants et aux violences faites aux femmes. L’UNFPA finance notamment un refuge et centre de réinsertion de l’association Mujejeguwa Loka, qui fournit des services sociaux et de santé pour les victimes de violences dans les districts de Mandura et d’Assosa zuria.
Les messages de Mujejeguwa Loka ont encouragé Mme Abebech à insister pour accoucher de son quatrième enfant sous son toit, où quelqu’un pourrait l’aider en cas de complications.
Elle témoigne cependant de la difficulté de la situation : « au début, les hommes ont eu du mal à l’accepter, et ma famille me désignait comme future responsable d’une malédiction qui nous frapperait si j’accouchais chez moi ».
Elle explique que certains membres de sa famille l’ont même menacée de mort.
Une fois l’enfant né, voyant qu’aucun malheur n’avait frappé la maison, Mme Abebech dit s’être sentie plus forte.
Elle n’a pas renoncé, et son dernier enfant est lui aussi né à la maison.
– Meron Negash (traduit de l'anglais par Marie Marchandeau)