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Moldavie : réduire la fracture numérique et l’écart intergénérationnel
- 12 Août 2022
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CUIZĂUCA, Moldavie – L’an dernier, Elena Gobjila, qui était enseignante à la retraite, a retrouvé la salle de classe. Cette fois-ci, c’était elle l’élève. Sous la houlette très patiente de Catalina Neghina, l’une de ses anciennes étudiantes, cette femme de 74 ans a appris à utiliser Internet.
« Pendant mon premier cours, je lui ai dit : Catalina, je t’ai appris à tenir un stylo, à ton tour de m’aider à apprendre tous les secrets d’Internet », raconte Mme Gobjila.
« Nous avons commencé sa formation à zéro », souligne Mme Neghina, 20 ans, qui a donné cours à Elena et deux autres éducateur·ice·s retraité·e·s. « Comment allumer son téléphone, comment se connecter à Internet. Tous et toutes doivent apprendre, pour pouvoir mieux communiquer avec leurs enfants et avoir accès aux réseaux sociaux. »
En Moldavie, la fracture numérique entre les plus jeunes et les plus vieux est béante. En 2020, selon un sondage de l’UNFPA, seuls 34 % des personnes âgées de 60 à 79 ans utilisaient Internet, contre 82 % de celles de 15 à 59 ans.
Pendant la pandémie de COVID-19, ce manque d’accès aux ressources numériques a accentué l’isolement des plus âgé·e·s, qui vivent souvent seul·e·s et avec peu d’accès à une aide sociale. Au cours d’une autre enquête de l’UNFPA, plus de la moitié des personnes de plus de 55 ans a exprimé sa difficulté à gérer l’isolement social. La mobilité ayant été particulièrement restreinte pour les Moldaves de plus de 63 ans, beaucoup ont aussi eu du mal à bénéficier des services médicaux et sociaux dont ils et elles avaient besoin.
Encourager les liens intergénérationnels pour combattre l’âgisme
Lancé peu après le début de la pandémie en 2020, le projet Digital Skills Connect Generations vise à réduire la fracture numérique entre les générations et à aider les Moldaves les plus âgé·e·s à accéder aux services dont ils et elles ont besoin, tout en encourageant un dialogue intergénérationnel.
L’UNFPA a déployé cette initiative avec l’aide de partenaires tels que la Moldcell Foundation, le ministère moldave du Travail et de la Protection sociale, la République tchèque, l’Agence suisse pour le développement et HelpAge International.
Le projet accompagne désormais plus de 650 personnes âgées dans 26 communautés de toute la Moldavie. En utilisant des téléphones portables issus de dons, des jeunes bénévoles de chaque communauté apprennent aux plus âgé·e·s à s’en servir, à naviguer sur Internet, à créer un compte sur les réseaux sociaux et à accéder à des services sociaux et médicaux en ligne.
En inculquant des compétences essentielles à des personnes âgées et en renforçant les liens entre celles-ci et les plus jeunes, ce programme permet de combattre l’âgisme, qui selon un récent rapport des Nations Unies est omniprésent en Europe.
En Moldavie, près des trois quarts des plus de 60 ans n’ont que des opportunités limitées pour un vieillissement actif et en bonne santé, selon l’indice de vieillissement actif national. Les disparités générationnelles sont très fortes sur le marché du travail, accentuées par le fait que les personnes âgées mettent plus de temps à s’adapter aux nouvelles tendances, notamment celles amenées par les nouvelles technologies.
Parallèlement, la population moldave est à la fois vieillissante et en déclin, à cause de taux assez bas de fécondité et de migration.
Beaucoup de jeunes Moldaves quittent le pays pour chercher du travail. « Pendant des décennies, les grands-parents ont pris le relais lorsque les jeunes quittaient le pays, gérant les foyers et prenant soin des petits-enfants sur le territoire », explique Nigina Abaszada, représentante de l’UNFPA en Moldavie, qui dirige une équipe de conseil au gouvernement sur la gestion des changements démographiques.
Selon l’enquête Generations and Gender (« Générations et genre ») soutenue par l’UNFPA, 15,5 % des Moldaves ont l’intention de quitter le pays dans les trois années à venir. Aujourd’hui établie à 2,6 millions de personnes, la population moldave pourrait ainsi chuter à 1,7 million, dont la moitié serait âgée de plus de 50 ans.
Face à des changements aussi rapides, la solidarité intergénérationnelle est plus importante que jamais.
« Créer des liens plus forts et un sens de la connexion entre générations, c’est essentiel pour combattre l’âgisme, et cela constitue un élément fondamental dans les efforts nationaux pour renforcer la résilience démographique », souligne Florence Bauer, directrice régionale de l’UNFPA pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale.
« Nous sommes ravi·e·s de voir autant de jeunes bénévoles participer à nos programmes, pour aider à leur tour leurs aîné·e·s et jouer leur rôle dans la création d’une société adaptée à tous les âges », ajoute Mme Abaszada.
Échanger ses compétences et ses expériences
Au début, Mme Neghina était sceptique, incertaine de trouver des avantages à former les plus âgé·e·s à la technologie. « J’avais l’impression que les personnes âgées et la technologie étaient incompatibles », dit-elle, faisant écho à un stéréotype très répandu.
Son expérience dans la formation de Mme Gobjila et d’autres participant·e·s au programme l’a rapidement fait changer d’avis, à mesure qu’elle voyait comment les compétences numériques pouvaient changer leur vie.
Dotée de ses nouvelles compétences, Mme Gobjila utilise désormais Internet pour parler à son fils, qui vit à l’étranger, ou pour renouer le contact avec des élèves ou des ancien·ne·s ami·e·s de l’université. Avec son mari, elle regarde en ligne des films et des émissions télévisées sur l’histoire, la culture et la politique.
Les compétences numériques permettent également aux personnes âgées d’avoir plus facilement accès aux services publics et à payer certaines charges. L’un des participants a ainsi pu demander une réévaluation de sa retraite, tandis qu’un autre a pu prendre un rendez-vous en ligne dans un sanatorium.
Les jeunes bénévoles comme Mme Neghina bénéficient elles et eux aussi du programme, et apprécient toute la valeur des liens solides créés avec une génération plus âgée.
« En tant que jeunes, nous avons beaucoup à apprendre de ces personnes », précise-t-elle. Elle a beaucoup aimé passer du temps avec Mme Gobjila. « Une fois que nous avons commencé à parler, nous n’avons plus vu le temps passer. Nous avons parlé de la vie, des interactions sociales, des secrets d’un mariage heureux. »
« La possibilité de communiquer plus en profondeur avec les personnes âgées a été une expérience très positive », conclut-elle.