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En Ouganda, les communautés se penchent sur un rite de passage violent et parfois mortel
- 01 Février 2013
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Selon quatre rapports de « bonnes pratiques » élaborés à la demande de l’UNFPA, l’adoption d’une stratégie globale visant à faire évoluer les normes sociales à l’aide d’un dialogue entre tous les membres de la communauté est le meilleur moyen de décourager les mutilations génitales féminines et l’excision (MGF/E). Ce reportage montre comment ces quatre bonnes pratiques (dialogue communautaire, utilisation de vidéos, déclarations publiques et législations nationales) peuvent se coordonner en faveur de la santé et des droits des adolescentes.
Les Tepeth sont un peuple de montagnards vivant dans le nord-est de l’Ouganda. Ils habitent dans des huttes coniques faites de bois, de chaume et d’argile dans les savanes semi-arides et les forêts broussailleuses du district de Moroto. Ils vivent depuis des générations de l’élevage et de l’agriculture. Si la récolte est bonne et la nourriture abondante, les anciens du village autorisent une cérémonie d’excision : des filles âgées de 11 à 14 ans sont alors soumises à un rite de passage vers l’âge adulte qui suppose l’ablation totale ou partielle de leurs organes génitaux externes à l’aide d’un couteau non aiguisé.
Les MGF/E sont aujourd’hui illégales en Ouganda, où elles ont fait l’objet d’une condamnation publique. Cependant, on estime qu’elles sont encore pratiquées par 1 % de la population, principalement chez les Tepeth, les Sebei et les Pokot, des groupes ethniques polygames vivant près de la frontière du Kenya. Une initiative à plusieurs volets menée dans le cadre du Programme conjoint UNFPA-UNICEF sur les MGF/E démontre que les lois ne sont qu’une étape pour éliminer ces traditions profondément ancrées, fermement respectées pour des intérêts privés et perpétuées dans le plus grand secret.
Les progrès sont toutefois encourageants lorsque l’application de la loi est appuyée par la volonté des citoyens. Il faut donc laisser les villageois, notamment les filles les plus concernées par cet enjeu, décider eux-mêmes ce qui est bon pour eux sur la base d’informations fiables. Il est important que cette décision soit collective, car dans ces communautés traditionnelles très soudées, ceux qui s’écartent des normes sociales sont souvent rejetés. Pour y parvenir, il est donc essentiel de s’appuyer sur l’influence des anciens du village, qui sont les gardiens et les dépositaires de la culture locale.
Une fois les filles excisées, elles se retirent à l’écart, dans des régions montagneuses isolées, pour un rétablissement pouvant durer jusqu’à trois mois. On demande à leurs parents de leur apporter de la nourriture, mais seule l’exciseuse est autorisée à les voir. Au cours de cette période, d’autres cérémonies préparent les filles au mariage et à la maternité. La fin de la période de guérison est marquée par une dernière cérémonie, après laquelle les filles retrouvent leur famille.
Elles peuvent alors officiellement recevoir des demandes en mariage, censées s’accompagner du versement du « prix de la fiancée », une dot offerte à la famille de la mariée qui prend généralement la forme de plusieurs têtes de bétail. Souvent, seuls les hommes plus âgés du village ont les moyens de payer cette dot, qui augmente si les filles sont excisées.
Compte tenu des dynamiques sociales des MGF/E et d’autres pratiques néfastes comme le prix de la fiancée et le mariage d’enfants, il n’est pas surprenant que ces coutumes persistent. Le « prix de la fiancée » permet souvent aux hommes plus âgés (qui exercent le pouvoir social, économique et politique) de bénéficier d’un accès exclusif aux jeunes épouses. Les mutilations féminines/excisions sont une source de revenu et de prestige pour les exciseuses qui les pratiquent : elles reçoivent en effet d’importants paiements de la part des parents, ainsi que des témoignages de reconnaissance tout au long de l’année. Les parents, quant à eux, reçoivent des cadeaux en échange de la main de leur fille. Enfin, les anciens du village, qui bénissent la cérémonie, préservent leur pouvoir et maintiennent le statu quo.
Apparemment, les seules à souffrir de cette situation sont donc les filles elles-mêmes. Toutefois, les risques considérables des MGF/E étaient jusqu’à récemment un secret bien gardé par les anciens. C’est ce qu’a découvert une enquête menée par l’organisation non gouvernementale Arbeiter-Samariter-Bund (ASB) dans le cadre d’un projet financé par le programme conjoint, visant à encourager l’abandon des MGF/E par le biais de dialogues communautaires.
Des séances de dialogue sont organisées, d’une part avec les jeunes et d’autre part avec les anciens, au cours desquelles on leur demande d’analyser cette pratique et ses conséquences, explique Lorika Claudias Nanta, représentante de l’ASB à Moroto. À la fin des séances, un animateur leur explique la Loi sur l’interdiction des mutilations génitales féminines, adoptée en 2010, qui condamne les MGF/E et les rend passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans, voire de la prison à perpétuité si la victime décède, devient invalide ou contracte le VIH à cause de l’excision, oubien si l’exciseur est un professionnel de la santé ou qu’il est en position d’autorité ou de contrôle vis-à-vis de la victime. Les anciens et les jeunes sont ensuite réunis et continuent à discuter des questions soulevées.
Avant le début du projet, les jeunes des communautés tepeth n’étaient généralement pas au courant des problèmes relatifs aux MGF/E, selon l’un des responsables communautaires. Ainsi, la plupart ignoraient que l’excision, en plus d’être terriblement douloureuse, peut provoquer une hémorragie fatale ou transmettre le VIH ou d’autres infections, car le même couteau non stérilisé est utilisé pour l’excision de toutes les filles. Les victimes risquent également de souffrir ou de ne ressentir aucun plaisir au cours des rapports sexuels, et sont exposées à l’infertilité et aux complications lors de l’accouchement. Parfois, certains parents passent plusieurs mois avant d’apprendre, lors des dernières cérémonies, que leur fille est décédée ou qu’elle souffre d’une invalidité permanente en raison de l’opération. Les MGF/E contribuent par ailleurs à l’analphabétisme car en général, les filles se marient et abandonnent leur scolarité peu après leur excision.
Pour que les dialogues soient fructueux, il faut créer un environnement propice à la participation, en particulier celle des dirigeants locaux, explique Mme Nanta. Cela permet aux membres de la communauté de discuter des problèmes concrets, mais également d’imaginer leurs propres solutions. « La communauté s’approprie le processus et ses résultats, notamment les mesures à prendre, puisque rien ne lui est imposé », affirme-t-elle.
Une fois que la communauté prend conscience des conséquences de cette pratique, la majeure partie de la population est souvent favorable à son abandon. Toutefois, de nombreuses personnes hésitent à exprimer ouvertement leur opinion de peur d’être rejetées, stigmatisées ou sanctionnées en raison de leurs croyances. C’est pourquoi il est fondamental de faire participer des dirigeants qui ont le courage de parler franchement.
Ce projet porte ses fruits. En 2012, près de 1 500 personnes ont participé aux séances de dialogue animées par l’ASB. Aujourd’hui, la question des MGF/E n’est plus considérée comme taboue mais débattue ouvertement sans risque ou crainte de censure. De nombreuses communautés ont pris publiquement des engagements qui commencent à être mis en œuvre : à Moroto, les Tepeth ont ainsi demandé à la police de mieux faire respecter la loi contre les MGF/E dans leur sous-comté. Les communautés peuvent également dénoncer des cas de MGF/E, ou même des menaces d’en pratiquer, ce qui n’était pas le cas en 2011 lors de la mise en place des dialogues. Par ailleurs, les séances de dialogue sont devenues un moyen pour les anciens de partager des informations sur cette pratique avec les jeunes, ce qui leur a souvent permis de décider de renoncer à l’excision en toute connaissance de cause (voir l’encadré de la barre latérale pour les autres résultats).
On obtient également de bons résultats en intervenant à l’intérieur et en dehors du cadre scolaire auprès des enfants, qui sont non seulement des candidats potentiels pour les MGF/E, mais également des acteurs du changement. Mi-2012, une vidéo présentant les dangers de cette pratique avait été diffusée 20 fois dans des écoles primaires et des centres d’apprentissage informels. Elle a ainsi été visualisée par un millier d’enfants dans le district de Moroto.
Les élèves rapportent qu’avant de visionner la vidéo, leur opinion concernant les MGF/E reposait entièrement sur les récits captivants des autres enfants et des anciens sur les célébrations, les cadeaux reçus en récompense de leur courage, l’amélioration de leur situation après l’excision, leur initiation à l’âge adulte et les cadeaux qu’elles recevraient lors de leur mariage, en particulier si on constatait qu’elles étaient vierges au moment de l’excision.
Après avoir vu le documentaire, les enfants étaient en mesure de citer les aspects négatifs de cette pratique et de transmettre ces informations à leurs parents et aux autres enfants. Ces séances ont donné aux filles le courage de s’exprimer. Certains garçons ont affirmé qu’ils ne voyaient plus d’objection à épouser une fille non excisée, d’autant plus qu’elle aurait moins de mal à mettre au monde un enfant.
La vidéo, réalisée au Kenya et traduite dans la langue locale, a également été montrée à certains anciens de la communauté tepeth. David Korryang travaille pour MAZIDEP, l’organisation confessionnelle chargée de la réalisation du projet vidéo pour le programme conjoint. Il témoigne : « Les anciens étaient choqués, en particulier les hommes qui ne savaient pas précisément en quoi consistaient les MGF/E, n’ayant jamais été témoins des cérémonies ni de l’excision des filles. »
Dans le district d’Amudat, une autre initiative du programme conjoint vise les anciens du village (hommes et femmes) par le biais de campagnes de sensibilisation et de dialogues communautaires. Grâce à ces actions, au moins 26 villages ayant une population totale de plus de 100 000 personnes se sont publiquement engagés à mettre fin aux MGF/E à travers des déclarations auxquelles se sont associés 49 chefs religieux, 10 groupes communautaires composés d’hommes, de femmes et d’anciens et 21 exciseuses de ces villages. Interrogés sur l’évolution de la situation depuis ces déclarations, les anciens mentionnent une diminution du taux d’abandon scolaire chez les filles et le fait que de nombreuses communautés commencent à changer d’avis sur cette pratique ancestrale.
Bien que l’UNFPA et l’UNICEF défendent résolument la loi interdisant les MGF/E, les deux organisations étaient conscientes que l’interdiction juridique devrait s’accompagner d’une approche populaire visant à faire évoluer l’opinion des citoyens grâce à l’éducation. Effectivement, une fois la loi entrée en vigueur, cette pratique s’est poursuivie dans la clandestinité. Au lieu de célébrer ouvertement les MGF/E, les communautés ont commencé à les pratiquer en secret, dans des lieux difficiles d’accès ou de l’autre côté de la frontière, au Kenya. Toutefois, la situation là-bas évolue également.
Suite à l’adoption de l’interdiction des MGF/E en Ouganda, le Kenya a voté une loi similaire, et les forces de police des deux pays collaborent désormais en vue de décourager cette pratique dans les communautés frontalières. En Ouganda, les opposants à cette pratique militent en faveur de la création de pensionnats et d’espaces sécurisés pour les filles qui fuient le mariage précoce et les MGF/E et ne peuvent pas retourner dans leur communauté, une stratégie qui a déjà porté ses fruits au Kenya.
Par ailleurs, une version simplifiée de la loi de 2010, rédigée en langue locale, est diffusée dans les régions à haut risque de l’Ouganda. Les communautés elles-mêmes réfléchissent à d’autres rites de passage pour les filles, mais également à d’autres moyens de subsistance pour les exciseuses. On constate donc un effet d’entraînement qui, souhaitons-le, s’étendra à l’ensemble de la société.
« Lorsque l’attitude de certains membres de la société évolue, cela perturbe presque tous les membres de cette société », affirme PODIZEP, l’organisation confessionnelle qui contribue aux déclarations publiques visant à décourager la pratique. « L’abandon des MGF/E doit être une initiative collective ; tous les acteurs doivent se réunir et transmettre ce message du cœur même de la communauté. »
Grâce aux dialogues communautaires animés par l’ASB :
57 dirigeants locaux ont bénéficié d’une formation concernant la Loi sur l’interdiction des mutilations génitales féminines de 2010 et transmis ce qu’ils avaient appris à leur communauté. On constate actuellement une demande croissante en faveur de l’application de la loi, et les responsables communautaires ont demandé d’autres formations afin de comprendre leur rôle et leurs responsabilités dans sa mise en application.
En 2012, une seule fille a été excisée sur les neuf paroisses des sous-comtés de Katikekile et Tapac, où les MGF/E étaient autrefois pratiquées régulièrement.
Les Tepeth ont demandé la mise en place d’une « journée de la culture » pour leur communauté en vue de réfléchir à la question des MGF/E. Ce jour-là, le 25 octobre 2012, 72 exciseurs ont publiquement dénoncé cette pratique et rendu leurs outils.
Aujourd’hui, 17 responsables communautaires surveillent et signalent les cas de MGF/E et débattent de cette question lors des réunions communautaires.
– Inspiré des quatre rapports de bonnes pratiques rédigés par Karin Weber et publiés par Lois Jensen