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Compter chaque voix : pour la première fois, le recensement du Brésil inclut les communautés quilombolas
- 12 Juillet 2024
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CONCEIÇÃO DAS CRIOULAS, Brésil – « Si je pouvais choisir où naître, je choisirais Conceição das Crioulas », a déclaré Antônio Crioulo à l’UNFPA, l’agence des Nations Unies chargée de la santé sexuelle et reproductive.
Conceição das Crioulas est le berceau de M. Crioulo, là où il est né et où vivent sa mère, ses frères et sœurs et ses enfants. La ville est également le foyer d’environ 4 300 personnes qui, comme M. Crioulo, s’identifient en tant que quilombolas, membres des communautés noires traditionnelles du Brésil, dont les ancêtres ont survécu ou échappé à l’esclavage entre le 16e et le 19e siècle.
Au Brésil, les personnes afrodescendantes ont longtemps été victimes de discrimination structurelle et de ses conséquences dévastatrices. En 2021, le taux de pauvreté des Brésilien·ne·s de couleur était deux fois supérieur à celui de leurs semblables blanc·he·s, tandis que les femmes afro-brésiliennes sont exposées à des risques de décès au cours de l’accouchement nettement supérieurs.
Dans le même temps, un manque de données nationales désagrégées portant spécifiquement sur les communautés quilombolas a exacerbé leur exclusion sociale et politique.
« Ne pas recenser une personne, c’est la rendre invisible et, par conséquent, ne pas lui donner la possibilité d’exercer ses droits », a déclaré la directrice exécutive de l’UNFPA, Dr Natalia Kanem, lors de la Journée mondiale de la population 2024. « Les communautés les plus marginalisées demeurent néanmoins sous-représentées dans les données, ce qui a de lourdes conséquences sur la vie et le bien-être de leurs membres. »
« Pour faire valoir les droits et les choix de celles et ceux qui sont relégué·e·s en marge de nos sociétés, il importe de les recenser – chaque personne compte. »
Inclure tout le monde
Environ 80 ans avant l’abolition de l’esclavage au Brésil en 1888, la terre qui deviendrait Conceição das Crioulas fut acquise par six femmes libres noires, qui levèrent les fonds pour l’acheter grâce à la culture du coton. Aujourd’hui, la propriété fait partie des quelque 6 000 territoires quilombolos à travers le pays, dont de nombreux sont caractérisés de façon disproportionnée par la pauvreté et l’exclusion.
« L’une des pertes majeures associées au processus d’asservissement est la capacité de rêver, de se sentir humain·e, de se sentir intégré·e dans la société », a affirmé M. Crioulo. « La structure du Brésil repose sur la force du travail des personnes noires, mais encourager des politiques publiques en leur faveur n’a jamais été reconnu comme important. »
Les responsables politiques ont besoin de données pour concevoir et mettre en œuvre des projets mettant en avant les communautés et ne laisser personne de côté. Pendant plusieurs dizaines d’années pourtant, les outils de collecte de données comme le recensement ne recueillaient que peu, voire pas d’informations sur les communautés quilombolas.
« Chaque fois que nous plaidions en faveur de politiques publiques spécifiques, les autorités prétendaient ne pas pouvoir les élaborer par manque d’informations à propos des communautés quilombas », explique Gilvania Maria da Silva, membre fondatrice de la Coordenação Nacional de Articulação das Comunidades Negras Rurais Quilombolas (CONAQ).
Mais tout a changé en 2022. Après une importante collaboration avec la CONAQ, l’UNFPA et les leaders quilombolo·a·s, l’agence nationale de statistiques du Brésil, l’IBGE, a actualisé le recensement pour permettre aux personnes sondées de s’identifier en tant que quilombolas. Pour la première fois, le Brésil a officiellement enregistré sa population, qui s’élève à 1,3 million de personnes.
« Le recensement est une première étape mettant en lumière l’importance de cet outil pour garantir que chaque voix est entendue », a affirmé Mme Maria da Silva. « Désormais, le discours “Nous ne savons ni où se trouve la population quilombola ni comment elle fonctionne" ne tient plus, car nous disposons des données concrètes essentielles à l’élaboration de politiques publiques. »
Le pouvoir du recensement
Les données constituent un droit, dont l’exercice améliore l’accès à la santé, à l’éducation et aux opportunités. Les informations propres à la communauté quilombola brésilienne, par exemple sa tranche d’âge et son ratio de genre, sont lourdes de conséquences pour l’élaboration de politiques en matière de santé et d’éducation publiques.
« Je suis quelqu’un d’optimiste, mais vivre dans un pays historiquement raciste et sexiste n’est pas facile. Les deux vont de pair et affectent directement la vie des personnes noires, en particulier des femmes noires », témoigne Mme Maria da Silva.
« J’espère que jour après jour, nous aurons accès à plus de données et que nous pourrons améliorer nos politiques publiques pour réparer les dégâts causés par le passé esclavagiste du pays. »